Les dernières mesures sanitaires édictées par le Gouvernement imposant le télétravail trois jours par semaine vont encore porter préjudice à la profession. Un problème qui s’ajoute aux enjeux majeurs auxquels la DA doit faire face. DA MAG fait le point avec Pierre Albrieux, Président de la Fédération nationale de Vente et Services automatiques (NAVSA) et Yoann Chuffart, son Directeur général.
DA MAG : Quelle est la situation actuelle des sociétés de gestion ?
Pierre Albrieux : Les estimations, pour le second semestre de l’année 2021, laissent entrevoir les chiffres suivants : le taux moyen d’activité au niveau national est de 70 à 80 % ; la perte moyenne de chiffre d’affaires en 2021 par rapport à 2019 se situe entre 10 à 20 %.Le secteur tertiaire est le plus problématique pour les gestionnaires d’appareils : le télétravail s’y est installé comme une modalité pérenne du travail et c’est encore dans les bureaux que les protocoles sanitaires les plus stricts trouvent à s’appliquer. A ce titre, l’Île-de-France est la région la plus sinistrée pour la Distribution automatique. En revanche, nous ne connaissons pas le taux d’activité par région. De plus, les difficultés des gestionnaires ont partie liée avec la typologie de leur clientèle. En effet, certains d’entre eux accusent une baisse de chiffre d’affaires plus importante en comparaison de celle de leurs concurrents car leur clientèle est plus exposée ou plus sensible au contexte actuel. La diversité de la clientèle des gestionnaires est également un facteur déterminant : le Tertiaire représente parfois 40 ou 50%, voire 60% des clients du gestionnaire, quand d’autres – plus rarement – ont une « mono-clientèle ». S’ensuit évidemment, dans l’un et l’autre cas, l’aggravation des difficultés. A cela s’ajoute que l’Administration elle-même, jusqu’à présent opposée à cette modalité de travail, a « basculé » vers le télétravail : ainsi les gestionnaires voient-ils non seulement leurs clients privés recourir à cette organisation du travail mais encore les clients publics eux-mêmes, désormais. Il est important de souligner que ces chiffres ne tiennent pas compte de l’effet des annonces du Premier Ministre lors de son discours du 6 décembre 2021, que nous ne pourrons mesurer qu’à partir de la rentrée 2022. Toutefois, il est certain que l’objectif annoncé de « trois jours de télétravail par semaine au niveau national » va entraîner une chute brutale du niveau d’activité : de nombreux gestionnaires finiront probablement le mois de décembre à -30%, -40 voire -50 % comme cela s’est vu à la fi n de l’année 2020, au moment où le télétravail demeurait fortement recommandé au sortir du deuxième confinement. En tout état de cause, le discours du Premier Ministre a provoqué les alarmes de la Profession : le « distanciel » est le fléau de la Profession. Dans le même temps, les lieux publics ou ouverts au public voient leur fréquentation baisser, quand ce n’est pas tout simplement la méfiance qui éloigne le consommateur de la machine dans un contexte sanitaire marqué par le risque lié au contact avec les surfaces. Aujourd’hui, un gestionnaire qui a recouvré 80 % de son niveau d’activité de 2019 (à périmètre constant) s’en sort bien. Nous savons qu’il n’y aura pas de retour à la normale en distribution automatique, autrement dit les difficultés conjoncturelles se muent en difficultés structurelles. Car la crise liée à l’épidémie de covid-19 bouleverse l’organisation du travail et, avec elle, le modèle économique des gestionnaires d’appareils. Parmi les évolutions observées, la généralisation du télétravail comme une modalité de travail en entreprise est sans aucun doute la plus impactante pour la Profession. Les lieux publics ou ouverts au public ne sont pas en reste, qui voient émerger une nouvelle attente de la part du consommateur, liée elle aussi à la crise sanitaire : l’achat « sans contact ». La crise a enfin replacé la question du service au centre de la réflexion sur notre métier… Et, avec elle, la question de l’indispensable valorisation d’une prestation souvent dévalorisée. La Distribution Automatique est donc appelée à s’adapter pour survivre, les chefs d’entreprise qui n’en seront pas capables ou qui le refuseront mettront sans doute la clé sous la porte. Il s’opérera ainsi au cours des deux années à venir une véritable « sélection naturelle » dans notre secteur (comme dans d’autres), qui verra les plus aptes survivre et les autres laisser leur place. En ce qui concerne nos métiers, ils sont, comme de nombreux métiers de la Branche, en tension. A ce sujet, la Délégation patronale de la Branche (à laquelle nous appartenons) conduit un travail de valorisation de nos métiers et élabore en ce moment même, pour 2022, une politique d’attractivité censée apporter des solutions pour résoudre les problèmes liés à nos difficultés de recrutement. Reste qu’en cette période, la priorité des chefs d’entreprise n’est pas au recrutement mais au maintien de l’emploi dans l’entreprise.
DA MAG : Où en est-on du dossier Gobelets ?
Yoann Chuffart : En résumé, l’arrêté « gobelets », négocié par la Fédération alliée pour la circonstance aux deux principales organisations professionnelles des industriels de l’emballage, a paru le 15 octobre dernier. Ce retard à la parution est en partie dû à la demande adressée par la Fédération à la Ministre de la Transition écologique, Madame Barbara POMPILI, d’autoriser la mise sur le marché en France de gobelets contenant plus de 15% de plastique (ce qui correspond au taux fixé pour la première échéance prévue initialement, à savoir le 3 juillet 2021) fabriqués ou importés après le 3 juillet 2021, eu égard aux vives tensions constatées sur le marché de la pâte à papier. NAVSA a obtenu gain de cause auprès de la Ministre, de sorte que l’échéance du 3 juillet 2021 a été reportée au 1er janvier 2022. Par conséquent, les industriels fabricants et les importateurs de gobelets ont été autorisés, pour les uns, à fabriquer, pour les autres, à importer de nouveau des gobelets composés partielle- ment de plastique, sans limite de taux. Et ce jusqu’au 31 décembre 2021. A cela s’ajoute que les stocks pourront être écoulés durant 6 mois à partir de cette date. Ce délai d’écoulement des stocks a lui aussi été obtenu par la Fédération et il s’appliquera à la survenue de chaque nouvelle échéance prévue. En somme, si le gobelet « 100% plastique » est bel et bien interdit depuis le 3 juillet 2021 tout en bénéficiant d’un délai d’écoulement des stocks jusqu’à la fi n de l’année à la condition qu’il ait été fabriqué ou importé avant le 3 juillet, conformément là encore à un vœu exaucé de la Fédération, le gobelet composé partiellement de plastique peut, quant à lui, être fabriqué et mis sur le marché national sans limite de taux jusqu’au 31 décembre 2021. De ce fait, de nombreux gestionnaires, face au manque de gobelets « carton », ont opté temporairement pour des gobelets dits « hybrides », qui contiennent un taux plus élevé de plastique. Reste toutefois que le problème n’a pas totalement trouvé à se résoudre et que cette solution est un moindre mal : il est fort probable que la situation se dégrade encore au début de l’année 2022… La Fédération est donc mobilisée pour apporter à la Profession une autre réponse à cette crise.
DA MAG : Quels sont les prochains enjeux législatifs qui menacent la profession ?
Y. C. : Sans trop en dire afin de préserver les négociations en cours, il est plusieurs « grands » sujets d’intérêt pour la Profession qui sont actuellement discutés :
•L’information environnementale du consommateur
Un projet de décret relatif à l’information environnementale du consommateur doit fixer, en application de l’article 13 de la loi du 10 février 2020, de nouvelles obligations à l’industrie en termes d’information au consommateur. Or le texte prévoit une mise en œuvre dans des délais extrêmement resserrés, tout en prévoyant des obligations auxquelles les industriels ne peuvent pas satisfaire ou qui apparaissent inopportunes voire dangereuses au regard de l’objectif fixé, à savoir l’amélioration de l’information du consommateur. Avec l’aide de la FIEEC, la Fédération a réuni dix organisations professionnelles autour d’elle pour porter des positions partagées en défense de nos intérêts communs et faire évoluer le texte dans un sens plus favorable ;
•Lutte contre le plastique à usage unique
Un projet d’acte européen est prévu, qui vise à orienter l’évaluation de la politique de réduction de la consommation de plastique à usage unique des Etats membres, en application de la directive européenne « Plastique à usage unique » du 5 juin 2019. Il prend en compte, pour son objet, tous les produits en plastique à usage unique, qu’ils soient composés entièrement ou partiellement de plastique. La France – suivie par l’Allemagne – entend privilégier une approche de l’évaluation de l’effort de réduction fondée sur le nombre d’unités mises sur le marché en plus d’une approche basée sur le volume de plastique mis sur le marché (laquelle a la préférence de la Commission européenne et de Eurostat). Une approche fondée sur les volumes unitaires viendrait directement remettre en cause l’effort industriel de réduction de la teneur en plastique dans les gobelets, en plus d’aller à l’encontre de la ligne directrice fixée dans l’arrêté « gobelet » (négocié avec les autorités publiques). La Fédération, en lien avec l’EVA et les organisations professionnelles des industriels de l’emballage, est mobilisée pour influer sur l’issue de ce projet ;
•Evolution de l’offre alimentaire en D.A
Dans le cadre de la mise en œuvre du « Plan national nutrition santé n°4 », le ministère de la Santé souhaite voir l’offre alimentaire en distribution automatique évoluer. Cette initiative ministérielle fait suite au rapport de la Cour des comptes sur « le coût social de l’obésité en France » (2019), commandé par le Parlement et pour lequel la Fédération a été auditionnée, qui préconise « un encadrement de l’installation et de l’offre en distribution automatique ». Le ministère de la Santé et NAVSA concertent donc des solutions appropriées pour trouver à résoudre le problème posé et éviter de voir surgir une contrainte légale ou réglementaire ;
•Interdiction de mise sur le marché de certains matériels « froid » (2022)
Le règlement européen 517/2014 du 16 avril 2014 prévoit l’interdiction de mise sur le marché de certains matériels « froids » utilisant des hydrofluorocarbures (HFC). L’industrie est donc contrainte de revoir son offre de matériel pour se conformer à la nouvelle réglementation européenne ;
•Tri à la source des biodéchets (2023 et 2024)
La loi du 10 février 2020 prévoit l’extension puis la généralisation du tri à la source des biodéchets pour les professionnels. Les gestionnaires d’appareils, détenteurs, seront donc contraints, selon les cas, en 2023 ou en 2024, d’opérer ce tri à la source ;
•Mise en place de la filière « REP » emballages professionnels (2025)
La loi du 10 février 2020 prévoit la mise en place, en 2025, d’une filière à responsabilité élargie du producteur (dite « filière REP ») pour les emballages professionnels. A ce titre, les gestionnaires, en tant que metteurs sur le marché, devront s’acquitter d’une éco-contribution sur chaque gobelet afin de financer la « fin de vie » du produit ;
•Instauration des « zones à faibles émissions » (ZFE) dans les grandes villes (2021 et après)
La loi du 24 décembre 2019, dite « loi LOM », a créé les « zones à faible émissions mobilité » (ZFE-m). Plusieurs métropoles ont ainsi mis en place ces zones où s’appliquent des restrictions de circulation pour les véhicules. Un décret du 17 septembre 2020 a étendu les ZFE à de nouvelles métropoles et, à terme, plus de 40 villes seront concernées suivant l’ambition du Gouvernement. Dans ces zones, certains types de véhicules seront interdits de circuler en fonction de leur catégorie Crit’Air. Et l’exigence Crit’Air est évidemment amenée à se renforcer : seuls les véhicules Crit’Air 1 et 2 pourront circuler, à terme, lorsqu’il n’est pas prévu par ailleurs que la circulation des véhicules roulant à l’énergie fossile soit tout bonnement interdite. Sur ce sujet encore, la Fédération est active puisqu’elle est partie prenante – en lien étroit avec la Confédération – des négociations en cours entre le ministère de la Transition écologique et les organisations professionnelles pour favoriser une transition adaptée et les engagements volontaires.