Dans un contexte de pénurie
de matière première, tous les
coûts de fabrication des gobelets
carton sont à la hausse.
Entre tensions sur les matières premières et incertitudes sur l’avenir, la DA accuse le coup malgré quelques victoires juridiques et alors que le contexte est à la reprise pandémique.
2022 commence d’une drôle de manière, et tous les acteurs du gobelet s’accordent sur un point : des fortes tensions sur le marché des matières premières en général – et notamment pâte à papier, plastique et aluminium – impactent la production des gobelets, et font monter les prix. D’autant que la pâte à papier, désormais issue de forêts gérées durablement, repose sur des quotas qui interdisent de puiser dans les ressources en fonction de la demande. A part les matières premières, ce sont aussi les coûts de transformation qui flambent : « hausse du coût des énergies (gaz et électricité), hausse du coût des transports, et plus généralement hausse de tous les coûts de fabrication européens », détaille Claire Chassagne, Marketing Manager chez Huhtamaki. Des tensions tout à fait prévisibles selon NAVSA et dues à une transition « à marche forcée » du plastique vers le carton puisqu’elle a concerné en même temps un très grand nombre d’objets en plastique à usage unique. « Nous avons alerté les pouvoirs publics à plusieurs reprises, depuis mai 2019, sur le risque prévisible d’une distorsion brutale entre l’offre et la demande sur le marché de la pâte à papier dans le contexte d’une transition imposée dans des délais extrêmement resserrés pour de très nombreux produits de consommation courante, laissant évidemment présager une pénurie au moment de la mise en œuvre des dernières interdictions en juillet 2021 : en effet, il était déjà bien connu que l’outil industriel, sous-dimensionné, ne pouvait pas absorber l’explosion de la demande et cela a logiquement généré de vives tensions sur le marché, lesquelles ont naturellement induit une hausse vertigineuse des prix des produits », explique Yoann Chuffart, Délégué Général de la Fédération NAVSA. Une augmentation d’autant plus sensible que s’y ajoute une quasi-pénurie dont les causes sont tout autant structurelles que conjoncturelles puisque « l’état du marché laisse voir que la matière première manque et viendra encore à manquer, mais aussi que des comportements néfastes de la part de certains acteurs économiques sont inévitables et ajoutent aux difficultés », pointe Yoann Chuffart.
Tensions sur la pâte à papier et augmentation des prix
Et si les industriels, dans leur ensemble, se disent pour l’heure à l’abri d’une pénurie, il ne faudrait pas que la situation perdure. « Concernant les gobelets carton, nous n’avons aucune machine à l’arrêt et nous honorons les contrats avec nos clients sans rupture d’approvisionnement. Mais la situation reste tendue et nous travaillons à qualifier des fournisseurs additionnels et à élargir notre panel de supply chain carton. Nos effectifs tournent à plein sur les machines pour faire des volumes supplémentaires sans toutefois pouvoir rattraper ce qui n’a pas été commandé par les gestionnaires au printemps dernier », confirme Lucie Chevalier-Juneau, responsable grands comptes chez C.E.E Schisler Packaging Solutions. Même son de cloche chez Pierre Le Gendre, directeur d’APS ; « nos touillettes 100 % cellulose sont fabriquées dans un papier très technique à fibres longues peu demandé par l’industrie papetière dans son ensemble. Nous avons précommandé plusieurs dizaines de tonnes de papier pour sécuriser les achats de matière première en amont, et sommes pour l’heure à l’abri d’une pénurie, mais pour combien de temps ? Par contre, l’augmentation des coûts est une réalité et fait actuellement l’objet de négociations pour être réduite et remise à plus tard, mais nous en avons déjà eu une première à l’automne, et en aurons sans doute une nouvelle en début d’année », confirme ce dernier. Et c’est là que le bât blesse. Inévitablement, cette augmentation des prix de la matière première s’abat sur tous les fabricants qui ne peuvent plus l’absorber, et la répercutent sur les gestionnaires avec une hausse moyenne de + 40 % de juin à octobre 2021 sur le prix des gobelets carton pelliculé, à laquelle devrait s’ajouter une nouvelle augmentation d’environ 20 % en janvier 2022 selon NAVSA. « En six mois, le prix moyen du gobelet aura augmenté de 60 % », confie Yoann Chuffart. Une hausse des coûts minimisée par les industriels qui évoquent plutôt une majoration de l’ordre de 20 à 30 % mais confirment des hausses successives. « En janvier, nous devrons répercuter une nouvelle hausse de prix après une première de l’ordre de + 15 % à 20 %. Avec une particularité : avant, les prix annoncés à l’avance étaient fixes pour un temps long (1 an) alors qu’aujourd’hui le pourcentage de hausse n’est pas énoncé lors de la commande de matières premières et les hausses sont valables sur des laps de temps beaucoup plus courts ; en tout état de cause, le carton et les matières emballages deviennent aussi fluctuantes que certaines matières premières alimentaires comme le café ou le sucre », constate Lucie Chevalier-Juneau (C.E.E Schisler Packaging Solutions). Rémi Boddaert, codirigeant d’Audis, spécialiste des boissons chaudes prédosées, constate lui aussi « une augmentation des coûts de l’ordre de 10 à 15 % avant une nouvelle hausse prévue en janvier 2022, mais sans signal de pénurie grâce à un sourcing international ». De son côté, Huhtamaki, malgré la chance d’être un groupe international et de pouvoir s’approvisionner en carton notamment en Finlande, observe un réel impact de la tension autour du carton « qui se traduit avant tout par un allongement des délais d’approvisionnement qui sont passés de 4 à 6 mois », détaille Claire Chassagne.
Plusieurs victoires juridiques …

La Gamme de gobelets « Compacto » d’Huhtamaki.
Et dans ce contexte de tension extrême et où les bonnes nouvelles sont rares, il est plusieurs victoires au plan juridique ; car si le sort de la touillette était d’ores et déjà réglé (1), il restait encore quelques incertitudes quant au gobelet carton, et notamment le taux de plastique autorisé et le calendrier d’échéancier de réduction dudit taux de plastique. Attendu en avril 2021, puis en septembre, l’arrêté « Trajectoire Gobelet 0 % plastique » a finalement paru le 15 octobre 2021, et c’est la version écrite conjointement par EPPA, COFEPAC, AGC et NAVSA qui a bel et bien été adoptée à la suite d’âpres négociations menées avec succès par les organisations professionnelles auprès du Ministère de la Transition Ecologique (MTE) et de Matignon (2). De plus, à la suite de l’intervention de NAVSA au début du mois d’octobre auprès du cabinet de la Ministre de la Transition écologique, la première échéance de « 15 % » de plastique est reportée du 3 juillet 2021 au 1er janvier 2022, ce qui offre la possibilité aux industriels de remettre sur le marché national des gobelets composés partiellement de plastique sans limite de taux (< 100 % donc jusqu’à 99 %), et ce jusqu’au 31 décembre 2021, et aux gestionnaires la possibilité de les acheter jusqu’à cette date et de les écouler ensuite légalement durant 6 mois (jusqu’au 30 juin 2022). « Utiliser à nouveau des gobelets composés de plus de 15 % de plastique est une première solution temporaire indispensable que nous avons négociée avec la Ministre dans un contexte d’urgence à l’automne afin d’éviter le pire cet hiver, mais il nous reste encore à trouver un compromis pérenne avec le MTE. Un autre de nos succès importants est d’avoir obtenu qu’à chaque nouvelle échéance un délai d’écoulement des stocks de 6 mois trouve à s’appliquer pour les produits non conformes », se réjouit Yoann Chuffart (NAVSA). Une excellente nouvelle pour la filière et pour certains fabricants comme Flo Vending qui ont pu remettre sur le marché des gobelets « hybrides » fabriqués en Italie et composés à 85 % de polystyrène recyclable avec un succès énorme. « Ce sursis nous a sauvé la mise », confirme Ludovic Delegrange, Directeur commercial chez Flo Vending, « mais nous devons nous concentrer sur nos clients directs en limitant les quantités livrées, et en privilégiant les petits gestionnaires. En termes de prix, l’écart n’est plus aussi important entre gobelet carton et gobelet plastique, car le polystyrène a quasiment doublé lui aussi, mais le prix n’est pas le sujet, cela permet tout simplement aux gestionnaires d’avoir des gobelets dans un contexte préoccupant de pénurie de matière première ». Pour d’autres industriels comme Huhtamaki ou C.E.E Schisler Packaging Solutions, ce sursis ne change rien et les gobelets pour boissons, chaudes ou froides, se situent déjà à moins de 15 % de plastique
Quelques timides nouveautés
Chez Huhtamaki, on continue à mettre en avant les gobelets carton pelliculés avec laminage PE ou PLA, ainsi que la nouvelle gamme de gobelets Compacto développée spécifiquement pour la DA (gobelets en carton pelliculé PE) « qui connaît un vrai succès et sur laquelle nous avons réinvesti pour avoir des capacités de production supplémentaires », indique Claire Chassagne. Chez C.E.E Schisler Packaging Solutions, les gobelets carton + PE et le gobelet sans film plastique « Earth Cup® » sont toujours proposés, alors que les gobelets pelliculés PLA sont en cours d’arrêt. Par ailleurs, le groupe travaille à une nouvelle gamme de couvercles à gobelets pour boissons en carton et fabriqués en France, « qui seront disponibles en version carton pelliculé ou « Earth Cup® », déclinés dans de nouveaux formats pour le café (avec ou sans trou), et proposés dès la fin du premier trimestre 2022 », s’enthousiasme Aurélie Chapoton, responsable marketing chez C.E.E Schisler Packaging Solutions. Et l’Alliance Gobelet Carton qui réunit plusieurs fabricants de gobelets carton (CEE. R. Schisler, Flo, Huhtamaki et Seda) et de fournisseurs de matières premières (Storaenso et Metsä), communique plus que jamais sur les vertus environnementales des emballages à base de papier (voir encart). Quant au nouvel échéancier de réduction du taux de plastique, il prévoit d’atteindre 8 % de plastique au 1er janvier 2024 (+ 6 mois de délai d’écoulement des stocks) et un objectif de 0 % de plastique fixé en 2026 (+ 6 mois de délai d’écoulement des stocks) assorti « d’une clause de revoyure qui prévoit un bilan d’étape en 2024 pour juger si l’objectif de 0 % de plastique est bien atteignable en 2026 ou si un report est nécessaire. Il s’agit à proprement parler d’un état de l’art pour évaluer les capacités industrielles et techniques de la filière », précise Yoann Chuffart (NAVSA). Avec un challenge de taille côté industrie : arriver à fabriquer un gobelet pour boissons froides – nécessitant une double couche de plastique polyéthylène (étanchéité et condensation) – sous la barre des 8 % de plastique.
…et toujours beaucoup d’incertitudes
Autre sujet d’inquiétude : l’entrée en vigueur du règlement d’exécution 2020/2151 relatif au marquage des produits en plastique à usage unique adopté le 17 décembre 2020 par la Commission européenne (3), sujet sur lequel plane encore quelques incertitudes. Ce nouveau règlement européen, en principe directement applicable en droit national à sa parution au Journal Officiel de l’Union européenne, concernait les gobelets pour boissons et imposait un marquage spécifique dit « tortue » – imprimé pour les gobelets cartons, ou embossé pour les gobelets plastiques -, de tous les gobelets pour boissons comportant du plastique et mis sur le marché à partir du 1er juillet 2021, quelle que soit leur teneur en plastique. Suite à une intense négociation avec la Commission européenne, la Fédération européenne de la D.A, l’EVA (4) a finalement obtenu que les Etats membres puissent fixer des modalités d’application au niveau national : « un coup de force », selon Yoann Chuffart. Ainsi chaque Etat membre pourra préciser l’application du règlement au niveau national : en France, les fédérations professionnelles concernées, parmi lesquelles NAVSA, ont négocié de concert et obtenu un délai d’écoulement des stocks des produits non marqués de 18 mois, à condition que les produits aient été mis sur le marché national avant le 3 juillet 2021, ce qui prolonge donc jusqu’au 31/12/2022 la circulation de produits non marqués (5). Mais sur ce sujet, le principal doute subsiste : à partir de quel taux de plastique peut-on parler de traces et, partant, éviter que le produit en question ne soit marqué ? Un vide juridique pour l’heure, qui inquiète les industriels et les conduit à retravailler sur de nouveaux prototypes de gobelets 100 % car- ton. C’est le cas de FloVending ou d’Audis qui travaille actuellement « à l’évolution de nos gobelets operculés afin de supprimer les rebords et obtenir des gobelets operculables en toute naturalité, sans aucun produit chimique dès le premier trimestre 2022 », détaille Rémi Boddaert.
L’innovation : seul rempart à un cocktail de rentrée anxiogène ?
Pénurie de matière, augmentation des coûts, variant Omicron et retour en force du télétravail, l’espoir semble tapi dans l’ombre. « Malgré une embellie à la rentrée 2021, le calme paraît de retour, l’activité ne reprend pas aussi énergiquement qu’au redémarrage et le télétravail revient voire s’ins- talle. De nombreuses incertitudes pèsent sur les prochaines semaines et notamment celle-là : s’agit-il d’un mauvais moment ? Ou est-ce une situation devenue structurelle ? », s’interroge Pierre Le Gendre (APS). Pour Yoann Chuffart, Délégué Général NAVSA, la réponse ne fait aucun doute : « il n’y a pas eu de retour à la normale de l’activité en DA et il n’y en aura pas. En moyenne, les gestionnaires ont recouvré, en 2021, 80 % d’activité, à périmètre constant, par rapport à 2019. Et les 20 % perdus le seront défi nitivement : la baisse conjoncturelle s’est muée en une baisse structurelle. La profession est désormais au pied du mur et doit se réinventer. Une « sélection naturelle » va, à un moment ou à un autre, s’opérer : ceux qui refuseront l’évolution de la profession mettront la clé sous la porte tandis que les autres survivront, qui auront repensé leur métier et répondu aux nouvelles attentes de la société », prédit Yoann Chuffart.
« Refuser l’innovation, c’est plus que jamais risquer de mettre la clé sous la porte »
Et en plus du télétravail qui contrecarre l’effet de reprise important et rapide du marché Vending, c’est tout le marché de la DA qui semble fragilisé avec « des distributeurs placés dans les gares ou sur les autoroutes qui enregistrent de fortes baisses de fréquentation à cause d’un volume de voyage très réduit. Malgré cela, nous souhaitons garder la tête froide et réaffirmer qu’en temps de crise sanitaire, la pause-café avec son gobelet à usage unique reste une garantie puissante en matière d’hygiène et de sécurité alimentaire du consommateur », défendent Lucie Chevalier-Juneau et Aurélie Chapoton (C.E.E Schisler Packaging Solutions).