Si les pratiques alimentaires
responsables n’ont pas trop changé en termes de volume et de parts d’acheteurs, ce sont les lieux d’achat qui diffèrent : les Français vont plus volontiers au marché, dans les circuits spécialisés, etc.
À événement inédit… comportements inédits ? Le constat paraît beaucoup plus nuancé. La crise sanitaire a plutôt accentué des tendances de fond préexistantes. Lesquelles ?
Face au gel de la vie sociale dont la restauration est la pierre angulaire en France, les professionnels se sont organisés pour limiter la casse quand cela était possible. Le boom de la livraison, du click&collect et du drive sont les symptômes de business models façonnés dans l’urgence certes, mais déjà éprouvés par le passé et donc maîtrisés. Côté consommateurs, le fait d’être assigné à domicile a notamment suscité l’envie de réinvestir les occasions de repas en y accordant plus de temps et plus de soin. Tour d’horizon des formules gagnantes du côté des professionnels d’une part et des comportements de consommation à suivre d’autre part.
Des pertes moindres en RHF
Les restaurateurs ont tiré des leçons du premier confinement de façon à réorganiser leur activité autour des contraintes nouvelles. Cela leur a permis de réduire les dégâts : NPD Group annonce dans une récente étude que les pertes moyennes se situent entre – 60 % et – 65 % en valeur en novembre contre – 84 % en avril 2020, grâce à la vente à emporter et la livraison. La restauration à table a notamment pris massivement ce virage nécessaire, en communiquant sur les réseaux au sujet de leurs nouvelles offres : la formule « à emporter » représente 35 % du total des visites entre mars et octobre 2020, contre 17 % en moyenne avant cette période. Il est intéressant de noter, comme le soulève la spécialiste Maria Bertoch (NPD Group), que « ces nouveaux canaux de vente ont continué à fonctionner en parallèle du service à table lors de la réouverture estivale et constituent un moyen de maintenir une source de revenu salvatrice pendant ce deuxième confinement ». Du côté de la restauration rapide, la vente « à emporter » a explosé : elle pesait en effet deux tiers des commandes avant le premier confinement, et atteint 85 % de part de marché entre mars et octobre 2020. Les professionnels de la RHF ont donc fait preuve d’adaptabilité et de résilience pour affronter une situation inédite… qui s’éternise. Jusqu’à quand la stratégie économique du moindre-mal pourra-t-elle sauvegarder la RHF et les métiers qui y sont rattachés ? En effet, on apprend par exemple dans un communiqué de presse de la FEEF datant de décembre dernier que les PME qui fournissent les professionnels de la RHF « sont fragilisées par une baisse en moyenne de 45 % de leur chiffre d’affaires sur l’année et par un marché qui se compresse à l’achat. Avec une trésorerie fortement dégradée, les PME parviennent difficilement à se projeter sur 2021 pour relancer leur production, avec ses conséquences en termes d’investissements, d’innovation et d’emplois ».
Des comportements de consommation alignés sur la « nécessité »
Du côté des consommateurs, un point essentiel est soulevé par Estelle Payani, journaliste et auteur culinaire, dans le Baromètre annuel de Max Havelaar sur la transition alimentaire en France. « Du jour au lendemain, l’expression ‘Courses de première nécessité’ est apparue. Se nourrir était redevenu important. On avait le sentiment de “risquer sa vie”. Face à cette situation sur laquelle nous n’avions aucun pouvoir, le menu, le choix de ce que l’on mettait dans l’assiette deux fois par jour, était ce sur quoi nous pouvions agir. Les familles se sont rendu compte que cela avait un coût et que c’était un défi ». Cette notion d’urgence a resserré les pratiques culinaires et alimentaires autour du partage et du plaisir, tout en faisant attention à soi. Elle a en quelque sorte permis de réhabiliter le temps des repas dans les foyers. Le rapport de l’Observatoire Alimentation & Famille de la Fondation Nestlé France (IPSOS) souligne un rééquilibrage des préoccupations santé et plaisir entre la semaine et le week-end. Le plaisir est devenu une des préoccupations majeures en semaine à la place de la praticité. L’équilibre alimentaire a été davantage considéré pour les repas le week-end. On lit également dans le rapport de NPD Group évoqué plus haut que selon « une enquête menée à l’aube du second confinement auprès d’un échantillon représentatif, 48 % des personnes interrogées affirmaient prendre plus de temps pour cuisiner depuis le début de la pandémie. Signe que la bonne chère représente toujours un intérêt majeur pour les Français, 46 % des répondants déclarent essayer plus de nouvelles recettes de cuisine qu’auparavant, 35 % sont allés jusqu’à suivre des cours de cuisine en ligne et 34 % ont commandé des kits de cuisine pour préparer des repas à la maison. Enfin, ils sont 35 % à s’efforcer de manger plus sainement ». D’autre part, les consommateurs renouent avec l’idée du pouvoir d’achat : consommer mieux, plus local, plus direct sont des notions qui façonnent avec encore plus de réalité la consommation alimentaire de demain.
Le durable ne connaît pas la crise ?
Cet enjeu déterminant dans l’acte d’achat reste aux prises avec la problématique du pouvoir d’achat. Consommer plus responsable n’est pas accessible aux foyers les plus fragilisés par la crise.